electra liberte
identité d'euler
(la formule la plus remarquable des mathématiques)

personnages:
katia – i (unité imaginaire)
dina – le nombre π
macha – le nombre е (ou la base du logarithme népérien)
kolia – 1
0

légende :
/ - la réplique est coupée par la suivante
l'absence de ponctuation est demarquée par l'intonation
.. - ce ne sont pas des points de suspension, mais presque

acte 1
scène 1

katia, dina et macha sont dans la cuisine.

katia: mon dieu, qu'est-ce que je déteste les cafards ! mais je peux pas les tuer. je peux pas genre quand tu tapes avec une pantoufle sur son corps et ça s'aplatit et ça s'écrase et puis tu le retournes, et il y a ce machin blanc qui sort. et puis ce craquement. non. je peux pas. quand j'ai eu des cafards chez moi pour la première fois et aucun poison ça marchait pas, j'ai lu quelque-part qu'il fallait les asperger avec de l'acide borique. ils ont peur de ça, et genre s'il y en a un qui le sent, il va absolument le dire aux autres – ils se passent des signaux avec leurs antennes ou je sais pas quoi. mais si j'avais pas d'acide borique, et moi, très honnêtement, j'en versais pas mal par terre, il fallait leur brûler les antennes, pour pas qu'ils appellent leurs potes et pour qu'ils partent vivre leurs derniers jours dans un petit coin. bon, et quelque-part au fond de moi j'espérais que les autres cafards verraient un cafard sans antennes et qu'ils auraient peur de venir dans cette maison. avant j'avais ce briquet en plus – un énorme pistolet au gaz – du coup je leur tirais dessus. des fois je tenais le doigt sur la gâchette trop longtemps et je brûlais le cafard tout court. après j'avais honte. encore quand j'étais petite je me suis promise de tuer aucune créature, même pas les moustiques, c'est pour ça que je faisais surtout que brûler les antennes des cafards. par prévention. puis ils ont disparu et je me suis même dite que je leur avais fait peur comme il fallait...

dina: ouais enfin j'suis pas très d'accord. des fois il faut les tuer. là il s'agit juste de la douleur. quoique je doute qu'ils sentent de la douleur.

katia: ils ont sûrement tous ces récepteurs…

dina: oui et alors ? même les plantes en ont. ça m'étonnerait qu'ils souffrent de tout ça. ou tu penses que juste avant que tu le frappes avec ta chaussure, toute sa vie passe devant ses yeux et il pressent une souffrance colossale, en se souvenant de ses gosses, de son premier amour, etc. ? la douleur c'est avant tout une émotion.

katia: tu sais, moi en général j'ai des soucis avec toute cette histoire de vivant et non-vivant. je peux même pas casser de la vaisselle quand je pète un câble. à l'école on nous disait de pas faire tomber des crayons parce que sinon leurs mines se cassaient à l'intérieur, et moi je m'imaginais qu'après ils avaient la colonne vertébrale cassée, et ça me donnait une espèce de décharge électrique dans le dos. ou ce sentiment quand tu casses quelque chose sans faire exprès et ça te fait comme un poids à l'intérieur : l'intégrité des atomes, tous ces accouplements, tout ça est brisé et c'est fini. à l'instant c'était entier, vivant – il y a une seconde à peine ! et maintenant c'est fini. mais je comprenais pas la logique, pourquoi à l'école on nous disait aussi genre cassez pas les branches des arbres, vous leur brisez les doigts, ça vous ferait plaisir si on vous cassait les doigts ? eh bah on écrit dans des cahiers, eux ils sont en bois aussi si on y pense, et alors quoi, la question c'est si tu les casses avec un but précis ou juste comme ça ? et si après ça devient le cahier d'une petite conne, eh bien c'est quoi comme but ? bref, je me suis sentie un peu perdue avec tout ça et j'ai décidé de tuer personne et de faire mal à personne.

dina: léon tolstoï, bonsoir. en fait tout ce que tu dis c'est plutôt comme si toi-même tu voulais pas souffrir, et pas ne pas infliger de la souffrance aux autres. écoutez ! c'est quoi ça ?

tout le monde écoute.

dina: c'est un oiseau qui chante comme ça ?

katia: ah, c'est ce que je me suis dite aussi au début, d'ailleurs.

macha: quel oiseau ?

katia: non mais c'est pas un oiseau. c'est le compteur d'eau qui fuit dans notre salle de bain.

dina: c'est la plus grosse connerie du monde, ces compteurs. ça ressemble à un oiseau, au fait. / c'est rigolo.

macha: / ça y ressemble pas du tout.

dina: j'ai eu une facture d'électricité pour 22 000 roubles là (1 euro ≈ 60 roubles. it’s like 25 times bigger than as usual in russia). apparemment il fallait leur donner ce qu'affichait le compteur et puis encore quelque chose. franchement, ils déconnent un peu.

macha: c'est-à-dire, « ils déconnent un peu »?

dina: bin ce compteur il a 20 ans de plus que moi, qui l'utilise ? après tout je paie pour l'électricité, et puis voilà.

macha: c'est-à-dire ? c'est quoi ce délire ?

katia: et tu vas faire quoi ?

macha: mince, on la paie combien l'électricité, 300 roubles ?

katia: peut-être pas 300, quand-même.

dina: non mais je vais trouver un boulot. quoique je comprends absolument pas qui et comment et où je le trouve. je lis des annonces des fois – tout est un peu nul. je veux pas non plus bosser bah tout bêtement pour de l'argent et peu importe où.

katia: et tu voudrais travailler où ?

dina: bah je sais pas, nulle part. je comprends pas trop en fait, genre je sais faire plein de trucs, mais si on regarde les offres d'emploi j'aime rien du tout. je lis leurs conditions genre bosser tant, vacances de 42 jours en été et c'est tout, absence de liberté totale, on peut pas voyager, c'est chiant.

katia: mais là tu voyages pas non plus ?

dina: ouais mais c'est un peu la crise en ce moment, avant je partais pour 2-3 jours à helsinki ou je regardais les trains sur internet, je prenais ce qu'il y avait de moins cher et je partais. hop et c'est tout – comme pour démarquer une limite.

macha: au travail il y a les weekends et les jours fériés aussi.

dina: ouais mais ça reste galère, tout est genre prédéfini à l'avance et on peut rien faire, puis encore une année de travail, et puis c'est chiant, moi je veux que ce soit un truc grave cool

katia: et quand t'es à la fac tu peux pas voyager non plus, il faut aller en cours.

dina: c'est pas pareil. là au moins je sais que c'est bon pour mon développement intellectuel.

macha: si ça développe autant ton intelligence, comment ça se fait que t'as toujours pas déduit comment trouver un boulot ?

dina: mais tu me plais, poulette !

katia: on peut aussi vendre quelque chose. nous des fois on vend des trucs.

macha: on a déjà tout vendu il me semble.

le téléphone de dina fait un bruit. dina lit le message.

dina: oh, on nous appelle à un apéro. go ?

katia: et c'est qui ?..

dina: des mecs d'un groupe, je me rappelle pas le nom. mais ce sera top. allez ! prend ta frangine aussi, pourquoi elle reste enfermée toute la journée ? le mouvement c'est la vie ! allez, ma petite macha, on fait une petite teuf bien comme il faut, prépare-toi, / on va te faire faire connaissance à des gens classes.

katia: / il faut pas.

macha: ceux de ma classe me suffisent déjà.

dina: elle a du culot un peu ta frangine. ma petite macha, tu connais ces vers ?

vous habiller fut trop d'effort,
comme vous lever de ce fauteuil.
- pourtant chacune de vos aurores
pourrait radier de mon bonheur.
vous fîtes ceci sans méchanceté,
innocemment et sans appel.
- j'étais votre jeunesse
qui s'écoulait, qui passait à côté.

macha jette sa tasse dans le lavabo et sort de la cuisine.

katia: elle se prépare pour le bac. c'est les nerfs.

dina: (crie à macha) c'est tsvetaïeva, macha, t'énerve pas. (à katia) bon, c'est parti ou quoi ?

scène 2

macha écrit un post sur sa page facebook.
« plus une personne est primitive, plus haute sera son opinion de soi » e.m.remarque.

katia rentre chez elle. elle est ivre. macha va à la porte. katia rit et essaye d'enlever ses vêtements d'extérieur.

macha: qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

katia: non rien, juste… écoute, ma petite macha, tu te sens seule ? viens on va discuter.

macha fait des aller-retours dans l'appartement et se prépare pour sortir.

katia: mais alors, macha, tu fais la tête parce que je t'ai pas prise avec moi ?

macha: je suis un objet pour toi ou quoi ? si j'avais eu envie, je serais venue moi-même. mais comme tu pouvais le deviner – je n'ai pas eu envie.

katia: et t'as eu tort. c'était fun.

macha: va te coucher.

katia: et toi tu vas où ?

macha: regarde l'heure. je vais au lycée, où encore est-ce que je peux bien aller.

katia: oups. je pensais qu'on était en weekend aujourd'hui. ma petite macha… j'ai une surprise pour toi !

macha: alors ?

katia: on ne sera plus que toutes les deux. la mélancolie de notre existence sera ranimée par…

macha: oh mon dieu.

katia: dina. t'as bien aimé dina ? dina elle est géniale.

macha sort en claquant la porte.

katia: eh ben tu as tort, très tort. dina est géniale. elle va te plaire. c'est obligé. elle plaît à tout le monde.

katia va sur internet. elle va sur la page de dina. elle regarde ses photos. il y a des photos de la soirée. il y a katia aussi sur certaines photos. elle sourit. puis elle regarde son fil d'actualités. elle voit le post de sa sœur. elle fronce les sourcils.

acte 2
scène 1

katia et dina trient les affaires de dina. macha est dans la porte, elle regarde ce qui se passe avec irritation non dissimulée.

dina: bon, ma daronne m'a promis de me filer un peu de fric le mois prochain, je partirai de chez vous. hé, ma petite macha, tu m'entends ? détends-toi.

macha: je suis pas ta petite macha. c'est quoi qui te plaît pas à la résidence ?

dina: en gros, on a eu une petite soirée là-bas quand j'étais en première année, j'ai pas le droit d'y aller.

katia: vous avez eu de la chance que vous avez pas été virés à ce moment-là.

dina: mais non, j'aurais pas été virée, j'ai du talent.

macha sort de la chambre. dina sort un cahier de la boîte. elle l'ouvre. elle le montre à katia.

dina: tiens, regarde.

katia: j'aurais jamais deviné que t'herborisais.

dina: juste aux endroits où il y a eu des évènements exceptionnels. il y a pas que des plantes, ça c'est une étiquette, ça c'est un bout de tissu, ça au fait je me rappelle plus d'où c'est. tiens ! regarde, ça c'est un billet de train régional que j'avais pris nue une fois.

katia: quoi ?

dina: en gros, j'ai fait connaissance avec un mec dans un bar

katia: comme d'hab…

dina: et vers le matin il m'a proposé d'aller faire un tour au golfe, bin on y est allé, il y avait des mecs qu'il connaissait avec nous. on était dans le train, on se roulait des pelles, bref c'était cool. et puis on est arrivé, lever de soleil, romantique, un peu de cognac. en deux mots, génial. et là ces autres mecs ont commencé à s'agiter, comme quoi on se roule des pelles tout le temps et ils ont eu envie eux aussi. ça ou peut-être l'autre leur avait promis quelque chose, bref. du coup ils se sont jetés sur moi et ont commencé à littéralement arracher mes vêtements.

katia: et après ?

dina: bah je suis partie en courant. à vrai dire, il commençait à faire un peu frais, mais en gros je suis arrivée jusqu'à la ville, j'ai niqué mon iphone par contre, ça fait chier.

katia: mais comment t'es arrivée chez toi ?

dina: on s'en bat les couilles, je me rappelle plus.

katia: mais comment t'as acheté ce billet si t'avais pas d'argent ?

dina: mon dieu, mais t'es une rabat-joie.

dina rit, lui prend le cahier, retourne vers ses affaires, fouille dans les autres boites en sortant des affaires aléatoires chaotiquement : ça se voit qu'elle avait fait les boîtes à l'arrache. elle sort un vinyle.

dina: tiens, regarde. un mec cool m'a offert ça. il m'a dit que c'était du bon son, un vinyle de collection ou un truc comme ça.

katia: the doors !

dina: eh beh t'es intelligente toi, tu sais tout. je savais que ça te plairait. je te l'offre.

katia: mon dieu, c'est fait en '67.

katia va vers le tourne-disques.

dina: tu te fous de ma gueule ! d'où tu l'as, cette antiquité ?

katia: c'est celui de ma mère. elle aimait les vinyles, elle disait que comme ça le son est le plus fidèle...

katia met le vinyle.

katia: je vais te montrer ma préférée chez eux.

on entend la composition people are strange, katia cherche une autre composition, enfin elle retrouve le bon endroit. on entend la composition my eyes have seen you.

dina: qu'est-ce qu'ils chantent ?

katia: le titre se traduit comme « mes yeux t'ont vu ».

dina: mais ça parle de quoi ?

katia: en vrai ça parle de la télé ou un truc comme ça, mais c'est pas important, elle a un sens différent pour moi.

dina: lequel ?

katia: mais écoute juste. l'ambiance est cool.

la composition se termine.

dina: c'est tout ? ouais j'sais pas trop.

katia: bon, je vais te montrer leur tube reconnu par tous.

katia met people are strange. katia traduit le texte en même temps que jim morrison chante.

katia:
ici c'est cool:
“toutes les femmes sont des putes
quand elles veulent pas de toi
les rues sont irrégulières
quand t'es au fond du trou” (means song «people are strange» by the doors)

dina: oké, oké, j'ai compris que t'es balaise en anglais, laisse-moi écouter un peu la chanson. et puis quand il y a de la musique – il faut danser.

dina traîne katia pour la faire danser. katia danse très timidement, et apparemment elle n'avait pas du tout l'intention de le faire. dina danse comme si son corps attendait depuis longtemps le moment où il pourrait se lancer dans une danse érotique.

dina: on boit un coup ?

katia: j'ai rien.

dina sort une bouteille du vin.

dina: tu me sous-estimes. j'ai toujours du pinard en rab.

katia part chercher un tire-bouchon. dina reste seule dans la chambre. elle étudie la construction du tourne-disques.

macha rentre dans la pièce.

macha: katia !

katia: (depuis la cuisine): j'arrive.

macha: laisse le tourne-disques.

dina: hé, calme-toi, poulette, qu'est-ce qu'il y a ? tu veux, on boit un coup ensemble ?

macha: éloigne-toi du tourne-disques, vite.

dina: oké, oké.

katia rentre dans la pièce avec un tire-bouchon.

katia: qu'est-ce qu'il se passe ?

dina: elle est pas mal cette compo au fait.

macha arrête la musique et emporte le tourne-disques hors de la pièce.
katia suit macha rapidement. on entend leur conversation indistincte à travers le mur. dina ouvre la fenêtre et se met à fumer. puis elle se rappelle de quelque chose, va à la boîte, sort une guirlande, l'étend sur toutes les surfaces auxquelles elle peut l'accrocher. elle l'allume. elle va à l'étagère, prend un livre au hasard.

katia: macha, vas-y, qu'est-ce qu'il y a ?

macha: pourquoi tu l'as amenée ? elle m'énerve, je la déteste !

katia: mais qu'est-ce que t'as ? tu la connais à peine !

macha: tu entends comment elle parle ? comment elle se comporte ?

katia: macha, dina est la meilleure étudiante de notre fac. elle est intelligente et douée, et en plus elle est charismatique et ouverte au monde. et tu as une ou deux choses à apprendre d'elle. au lieu de mettre des statuts stupides sur facebook en projetant ton agressivité passive sur internet.

katia reprend le tourne-disques et revient dans la chambre où est restée dina. elle remarque la guirlande.

katia: (concernant la guirlande) waouh. (concernant macha) désolée pour elle.

dina: t'inquiètes. j'étais pire. t'as une sacrée bibliothèque ici !

katia: oui, il y a des choses qui restent et de ma grand-mère, et de mes parents…

katia donne le tire-bouchon à dina. dina ouvre le vin. katia sort des verres du vaisselier.

katia: il faudrait peut-être les laver.

dina: on s'en fout.

dina sert le vin.

dina: à toi.

katia: merci d'être là.

dina: on danse ? j'ai bien aimé te regarder.

katia cherche un vinyle.

katia: voilà, ça.. tu sais, c'est quelque chose de spécial pour moi.

katia met la composition starless du groupe king crimson. elles dansent lentement. c'est comme si dina séduisait katia. à un moment dina fait comme si elle allait embrasser katia, qui suit cette impulsion, mais dina rit, prend du recul, ressert du vin.

dina: à toi, bichette !

scène 2

la composition starless continue à jouer. une petite soirée chez dina et katia. dina et plusieurs personnes fument de l'herbe. katia parle à kolia à côté du tourne-disques.

kolia: ce solo sur une note me réjouit à chaque fois. c'est comme si robert fripp pouvait simplement plus s'arrêter et il y avait personne pour lui donner une claque.

katia: au fait, malgré la durée insupportable, cela rentre d'une manière plutôt logique dans le tempo-rythme de toute la composition.

kolia: oui, elle a une structure de dingue. tout est nickel. punaise ! il y a quand-même des chansons comme ça, d'abord elles sont juste là comme ça, et puis à la millième écoute ça t'envoûte tellement que tu commences limite à voir des nouvelles couleurs !

katia rit.

kolia: et ça, avec le saxe ? elle est trop drôle, cette partie !

dina crie sur un type.

dina: qui a invité ce connard ? c'est un pote à qui ? casse-toi, putain de sexiste de merde.

dina s'approche de katia et kolia.

katia: il t'a dit quoi ?

dina: je l'emmerde ! (au type) ton discours tu peux le mettre dans ton cul, va chier ! (à tous) elle est un peu pourrave la soirée, les gars. il faut peut-être changer de son.

elle coupe starless.

dina: une seconde…

dina met la composition bad kingdom du groupe moderat sur une enceinte. elle danse d'une manière déjantée. hurle. boit.

katia reçoit un message de la part de macha : « ça va durer encore longtemps sinon ? » katia range son téléphone.

kolia: et vous êtes ensemble depuis longtemps ?

katia: une quinzaine de jours.

kolia: elle est plutôt… comment dire… inflammable, quoi.

katia (à contre-cœur): ouais.

dina: dansons, dansons, vive dionysos !

dina boit du vin depuis la bouteille. katia finit son verre. dina s'approche de kolia.

dina: hé, bonhomme, ça se voit que je te plais. alors qu'est-ce que tu restes là à rien dire ? vas-y, ose.

kolia: salut. oui. salut.. kolia. (donne sa main)

dina l'emmène danser. les gens qui fumaient de l'herbe remarquent d'un coup qu'il y en a plus. ils cherchent précipitamment le paquet, mais ils n'arrivent pas à le trouver.

type 1: c'est quoi ce délire

type 2: bordel.

dina: écoutez, les gars, laissez tomber, pourquoi vous paniquez comme ça d'un coup

la musique s'arrête. les jeunes hommes retournent tout en cherchant le paquet. tout le monde est tendu.

dina: allez, la soirée est finie, barrez-vous.

katia: qu'est-ce qu'il se passe ?

dina: détends-toi, tout le monde est juste bourré

certains vont pour partir, mais pas type 1 et type 2. ils veulent aller au fond de l'affaire.

type 1: il est où ?

dina s'approche du type 1, elle met une main dans la poche de son pantalon, et avec l'autre elle caresse son dos. elle sort le paquet en question de sa poche.

dina: c'est ça ?

type 1: c'est de la merde, elle m'a fait un coup !

dina: oh mais barrez-vous déjà tous. toi (pointe kolia du doigt). toi reste. t'as l'air pas mal.

kolia: comment t'as fait ça ?

dina: qu'est-ce qu'on s'en fout.

katia regarde autour d'elle d'un air perdu. les gens partent petit à petit. dina se renferme dans la chambre avec kolia. katia va dans la chambre de macha. elle s'assoit sur le lit. on entend des rires et d'autres banalités de la chambre de dina.

katia: comment… comment ça va à l'école ?

macha: tu te fous de ma gueule ?

katia: 'fin, comment tu vas ?

macha: nos locataires partent.

katia: quoi ? pourquoi ? pourquoi ils m'ont pas appelé ?

macha: ben peut-être ils ont pas pu te joindre.

katia: mince.

on entend des bruits de plus en plus érotiques de la chambre de dina.

macha: je vais vomir.

katia: exagère pas. on a eu des invités pour une fois. c'est pas une catastrophe.

macha: et alors maintenant tu vas toujours venir rester là à m'embêter pendant que ta pote ramène ses plans cul ici ? d'ailleurs je pensais que c'était ton ami.

katia: des plans cul. macha. mais c'est quoi ce niveau de discours.

macha: elle le dit tout le temps ce mot. dis-moi plutôt, avec quoi on va vivre ?

katia: je vais m'en occuper.

katia et macha restent en silence. puis katia va faire le ménage à la cuisine. elle met philip glass sur son téléphone, première partie du concerto pour violon et orchestre.

dina: bizarre comme choix.

katia: j'ai besoin de me décrasser.

dina: allez, ça va. tu ne faisais qu'observer.

katia: c'était pas censé se passer tout court. je me sens sale, dégoûtante, perverse. je sens le péché.

dina: quelle drôle de formulation. ce sont tes complexes qui parlent. et le sentiment de culpabilité.

katia: ils aimeraient pas du tout comment je vis en ce moment.

dina: bah en fait t'es pas obligée de vivre profil bas.

dina sort de la chambre et rentre dans la cuisine. elle entend philip glass.

dina: bizarre comme choix.

katia: ça me calme.

dina: tu t'inquiètes, poulette ?

katia: non, je suis juste fatiguée. pourquoi tu as fait ça ?

katia va dans leur chambre. dina et kolia sont là, ils dorment. ou font semblant. katia rentre dans la chambre de macha.

katia: je peux rester là aujourd'hui ?

acte 3
scène 1

katia essaie de faire un dossier, elle a des livres avec des formules devant elle. elle écrit un message à dina et à macha avec le même texte : « tu viens toujours pas ce soir ? » macha répond : « non, je reste chez nastia, on se prépare au bac ». dina répond : « nop, je suis au boulot » katia: « c'est quoi comme boulot ? » dina ne répond pas.

katia: eh bah bien sûr. tout va bien. tout va comme il faut.

katia se lève et commence à se promener dans l'appartement. elle met le vinyle de the doors et la chanson people are strange. elle se rappelle de l'autre soirée. mais, sans écouter jusqu'à la fin, elle coupe la musique. elle se rassoit à son bureau. puis elle va vers la fenêtre. fume. va vers le miroir. se regarde en fumant. expire de la fumée d'une manière esthétique.

katia: mon dieu, qu'est-ce qu'il est banal mon comportement.

elle s'allonge sur le lit. le téléphone sonne.

katia: allô. oui. oui, c'est correct. oui, je suis chez moi. oui, vous pouvez venir. oui.

katia met le tourne-disques dans une boîte. on sonne à la porte. katia ouvre, c'est kolia.

katia: oh mon dieu. elle est pas là.

kolia: je suis venu chez toi.

katia le laisse rentrer en silence.

kolia: tu ne réponds pas aux messages, tu ne réponds pas aux appels.

katia: je sais.

kolia: je peux rentrer ?

katia: bah rentre. et pour quoi faire ?

kolia: tout ça c'est pas correct, tout ça c'était pas correct, tu comprends, moi-même je sais pas.

katia: aïe, arrête, je veux pas entendre ça.

kolia: l'alcool c'est le mal, je me rappelle même pas de quoi que ce soit, je sais juste que ce que j'ai fait n'est pas bien, j'ai eu tort.

kolia sort un vinyle de son sac.

kolia: d'abord je voulais apporter des fleurs, mais / puis je me suis dit

katia: mais au final c'est encore moins d'actualité

kolia lui donne le vinyle.

katia: «those who do not». très symbolique.

kolia: je sais que tu vas sûrement pas me pardonner, mais je veux vraiment pas te perdre. encore personne dans ce monde ne me comprenait autant que toi. je ne connais plus personne qui aimerait king crimson, tatu, psychic tv, the doors et philip glass. tu as un goût invraisemblablement extraordinaire.

katia: désolée, j'ai des clients qui m'attendent en bas.

kolia: pardon ?

katia prend la boîte avec le tourne-disques et se dirige vers la sortie.

katia: là tout de suite.

kolia: oh non, mon dieu, pourquoi ?

katia: j'ai besoin d'argent.

kolia: je te donnerai de l'argent, combien tu veux ? ne le vend pas.

katia: c'est trop tard, je te dis, ils m'attendent.

kolia: bah dis que tu as changé d'avis !

katia: sauf que j'ai pas changé d'avis.

kolia: merde, merde, merde !

katia: ça arrive. on a fini de parler ?

kolia: merde, non ! on a pas fini de parler !

katia: bin tu peux m'attendre ici.

kolia reste avec obéissance.

scène 2

katia est devant la maison avec la boîte. la 3ème partie de la 14ème sonate de beethoven joue dans ses écouteurs.

katia:
presto agitato. c'est comme ça qu'il faut vivre. dina dit toujours que les mathématiques sont de la poésie. le monde entier est de la poésie, si on a envie. le lampadaire s'est émergé de la flaque. la phrase te deum laudamus est éclairée sur l'église. des vagabonds expressive passe devant moi. les traits verticaux des arbres défeuillés s'ombrent sur les murs des immeubles. l'asphalte vert mouillé devient rouge, puis redevient vert, ne passant pas par l'interligne orange. la fleur en papier se noie dans la flaque sale. à côté – de la neige à peine fondue. un miroir sort d'un bac à poubelle, et je m'y reflète. une chienne enceinte me regarde. son maître la regarde avec ses yeux noirs. avec tout l'argent que j'aurai maintenant je pourrais louer un appartement tout de suite et m'y installer toute seule. ou je pourrais prendre un train et partir dans une autre ville et prendre une chambre à l'hôtel et ne pas me casser la tête pendant quelques jours.

des gens s'approchent de katia. ils prennent la boîte, lui donnent l'argent. katia écrit un message à macha. « il faut qu'on parle. reviens. elle sera pas là. promis ».

acte 4
scène 1

ellipse de temps. dina et katia sont assises dans la cuisine.

dina: t'es qu'une victime des circonstances.

katia: / n'importe quoi.

dina: / toujours. mais regarde autour de toi ! bah par exemple il te plaît, ce papier peint ?

katia: pas trop.

dina: pourquoi tu l'enlèves pas ? tu vois bien qu'il est affreusement ringard. ça fait combien de temps qu'on l'a mis ? 30 ans ? / 40 ?

katia: j'ai pas suffisamment d'argent pour / en mettre un nouveau.

dina: / et moi j'suis pétée de thunes en ce moment.

dina s'approche du mur.

dina: et j'aime pas du tout ton papier peint à la con.

dina commence à arracher le papier peint.

dina: t'es avec moi ? détends-toi, je vais t'acheter du papier peint et puis de quoi t'as besoin encore. t'as juste à dire, il n'y a plus que nous deux. il n'y a plus que les feux de l'aérodrome

dina rit.

katia: d'où tu as de l'argent ?

dina: j'ai un putain de boulot de ouf.

katia: mais raconte.

dina: bah tu te rappelles de la conférence où vous blablatiez de fractales ou je sais pas quoi toi et ton petit copain là ?

katia: il s'appelle kolia.

dina: mais où tu l'as trouvé ?..

katia: comme si tu / ne savais pas.

dina: / bref, on s'en fout. du coup après ça il y a schreiber qui m'a fait signe d'approcher et il m'a dit que j'avais fait un travail extraordinaire, et il m'a proposé d'écrire un article pour le héraut de l'académie des sciences.

katia: ah ouais quand-même… et ça paie beaucoup alors ?

dina: nan, ça paie que dalle, c'est juste comme ça, pour me faire plaisir.

katia: mais attends, et ton travail alors ?

dina: c'est chelou comme taf. mais ça paie de ouf.

katia: je me demande, on a proposé à quelqu'un d'autre d'écrire dans le héraut ou pas ?

dina: je pense pas. 'fin, il y avait pas grand monde qui on pourrait y recruter, on est bien d'accord ?

katia: j'imagine.

katia arrache un énorme morceau de papier peint. en dessous il y a un journal, le texte est suffisamment lisible.

dina: « il y a quelque chose de métaphysique dans l'amour du peuple soviétique pour la bière »

katia: c'est pas vrai ! ça y est pas.

katia regarde de plus près. dina rit.

katia: j'y crois pas !

dina: « quelque chose de mystérieux et surnaturel. j'étais avec une chope de bière tchèque ». ça s'arrête là. mais putain, c'est déjà suffisant. dionysos me parle depuis les vieux journaux ! on ne peut pas laisser passer ce genre de choses. je vais aller chercher de la binouse. ou quelque chose de mieux.

katia: mais tu allais finir de bosser sur un truc aujourd'hui ou quelque chose comme ça.

dina: et en quoi ça me gênerait ?

dina part chercher de la bière. katia reste à la cuisine, où une partie du papier peint est arrachée. elle regarde autour d'elle. dina revient.

dina: j'ai croisé ta frangine dans l'escalier. pourquoi tu l'as virée, d'ailleurs ? elle est cool. mieux que ton copain.

katia: je l'ai pas virée, elle habite juste temporairement dans l'appartement qu'on loue, à l'étage au-dessus, parce que

dina: ouais bon on s'en fout, j'ai compris, vous avez vos propres différends là

katia: mais non, c'est pas ça…

dina: mmm, elle est bonne la binouse.

dina part dans la chambre. il y a des bouts du papier peint qui pendent du mur. une partie est déjà par terre. katia arrache encore un petit bout. elle remarque le ticket de caisse sur la table. elle le regarde. elle va chercher dina.

katia: mais c'est où que tu as trouvé de la bière à ce prix-là ?

dina: c'est quoi le souci, poulette ?

katia: où est-ce que tu travailles ?

dina: non mais laisse tomber, qu'est-ce qu'on s'en fout ?

scène 2

katia est devant un miroir, elle met de la crème sur son visage avant d'aller se coucher.

dina: pourquoi tu fais ça ?

katia: la peau se sèche.

dina: ou peut-être que tu as peur de vieillir prématurément ?

dina rit.

dina: imagine, je vais sûrement mourir très bientôt si je continue à boire autant. et ma tombe sera couverte de fleurs. mon cerveau va être étudié par des scientifiques des générations à venir. et toi tu vas vivre. tu vas vivre 50 ans de plus que moi, pas moins. et toute ta vie tu vas te rappeler de moi.

katia: pas forcément avec des bons mots.

dina: qu'est-ce que tu dis comme bêtises, katia. tout ça n'a absolument aucune importance. ce sont juste des paramètres de relativité. toi et moi on est comme jim morrison et ray manzarek. il écrivait de l'excellente musique, mais qui se rappelle de lui quand on parle de the doors ? à part toi, peut-être.

katia: je pense pas que ce soit un exemple correct.

dina: arrête, c'est exactement ce que tu penses. je sais même pas comment il s'appelle. je n'y pense même pas. toi t'y penses.
trop douces les terrestres boissons, trop denses les filets de l'amour, j'espère qu'on lira mon nom dans un livre d'école un jour.

katia se retourne du miroir.

dina: t'es belle, katia. très belle.

katia: pourquoi tu me dis ça ?

dina: c'est vrai.

katia: te moque pas.

dina rentre dans la salle de bain, sursaute.

dina: mon dieu, tu m'as fait peur.

scène 3

katia est assise sur un canapé devant son ordinateur. elle a des manuels autour d'elle.

dina: regarde-moi ? mais regarde regarde regarde

katia: si tu la fermes pas tout de suite, je vais m’arracher les yeux, les coudre aux tiens, et tu vas les contempler à tout jamais.

dina: mais regarde-moi encore une fois ?

katia ne dit rien.

dina: pourquoi t’es une telle rabat-joie ? regarde par la fenêtre ? viens on va se balader.

katia: n’ouvre pas, s’il te plait, j’ai déjà froid comme ça.

dina: oh, dehors y a un truc, mais un truc

katia: quel mot pourra te faire comprendre à quel point tu me gênes ?

dina: putain mais il y a un truc de fou dehors

katia: il y a ta mère qui t’appelle.

dina: il y a un chien terriblement sale qui bouffe un pigeon !

katia: prends ton téléphone.

dina: au fait je savais pas que les chiens mangeaient des oiseaux. et les gens ils arrêtent pas de parler ! le sens de la vie, le sens de la vie… ils abusent pas un peu, ces gens ? pourquoi personne s’inquiète du sens de la vie de ce pigeon ? et de ce chien ?

katia: pour fumer c’est à la cuisine, je te l’ai dit cent fois déjà !

dina: d’ailleurs, à propos des chiens : tu savais que les hérissons mangeaient les croquettes faites pour des chiens ?

katia: allô, oui, je lui passe le téléphone.

dina: (repousse le telephone): dis-lui que je suis morte. non, dis-lui qu’un chien m’a mangé !

katia: elle va vous rappeler dans 5 minutes. mais qu’est-ce que tu veux ?

dina: regarde-moi ?

katia: et alors.

dina: katia, dis-moi, quel est le sens de la vie des pensées qui passent par ta tête ?

katia: oh mon dieu.

dina: qui es-tu, katia ?

katia: et toi tu es qui ?

dina: au fait, il veut dire quoi ton prénom ?

katia: je sais pas.

dina: tu te fous de moi ?

dina cherche le prénom katia sur google.

dina: « éternellement pure », « claire, vierge ». « le dictionnaire des noms propres d’oxford » dit que l’étymologie de ce prénom reste incertaine. qu’est-ce que tu es mystérieuse. ça me plaît.

katia: et que veut dire le tien ?

dina rentre dans la chambre avec une bouteille d’alcool chère.

dina: laisse ton telephone, aujourd’hui on fait la fête, poulette.

katia: quoi ? pourquoi ?

dina: et qu’est-ce qu’il te faut comme occasion ? l’anniversaire d’einstein ça te va ?

katia: c’est vrai ?

dina: j’en sais rien, vérifie.

dina remarque le tourne-disques.

dina: oh, je pensais que tu l’avais vendu.

katia: c’est kolia qui me l’a offert.

dina: on dirait vraiment qu’il t’aime.

la pièce se remplit de gens au fur et à mesure. dina devient très rapidement ivre. elle s’approche d’un jeune homme qui mange du pain.

dina: et tu sais que c’est carrément meilleur si on fait comme ça ?

dina met du lubrifiant goût chocolat sur le pain. le jeune homme fait une grimace.

jeune homme: c’est quoi ?

dina: mais tu vois pas ? je me suis préparée pour notre rendez-vous.

jeune homme: mais on vient de se rencontrer.

dina: et moi j’étais déjà prête.

dina lui prend son bout de pain et lèche le lubrifiant du pain aussi érotiquement qu’elle peut.

dina: mmm, trop bon.

dina se penche vers le jeune homme stupéfait et l’embrasse. puis elle part danser. pendant ce temps katia cherche à cacher son inquiétude, son interaction avec kolia ne lui suffit pas. il lui dit quelque chose, elle ne l’entend pas. il manque toujours une partie du papier peint dans la cuisine. elle passe sa main sur le mur, il y a du chaux qui reste sur sa main. dina s’approche de katia.

dina: alors, poulette, on s’ennuit ? on danse ?

katia: tu sais très bien que j’aime pas …

dina: tssss.

elles dansent. dina parle d’une manière lente et ivre.

dina: katia, katia… je suis si bourrée… tu… katia, katia…

katia: je sais…

dina: non, tu comprends pas, katia…

katia prend dina dans ses bras, la serre même. dina remarque kolia.

dina: à quoi il te sert ce type chelou, je comprends pas. une nuit m’a suffit pour comprendre qu’il est nul à chier. son intellect ne correspond absolument pas au tien.

katia: je sais pas.

dina: laisse tout tomber, katia, sois avec moi.

dina embrasse katia. kolia jette un verre de vin dans leur direction et part.

dina: il te vaut pas.

katia: kolia !

il part de l’appartement. dina emmène katia dans leur chambre.

dina: attends-moi ici, ma petite. et pense à rien. promets-moi.

katia embrasse dina.

dina: promets-moi.

katia: je promets.

dina: j’arrive.

dina sort de la chambre et retourne à la cuisine. katia est agitée. elle se vérifie dans le miroir, soigne son apparence. refait ses cheveux. regarde son corps. défait son pantalon, regarde sa culotte. elle va en chercher une autre dans le placard, elle la met. elle refait ses cheveux encore une fois. enlève son soutien-gorge. elle laisse juste son t-shirt. dina ne revient pas. katia sort de la chambre et va à la cuisine. dina parle au jeune homme à qui elle montrait comment manger du pain avec du lubrifiant. dina l’embrasse de nouveau. elle l’emmène dans la chambre.

dina: on y va ?

katia: j’arrive.

katia sort de l’appartement. elle marche dans la rue comme si c’était la première fois.

katia:
où suis-je
pendant qu’elle est là-dedans
avec mon regard j’attrape
les reflets de lumière
du décor de la ville
qui rampent lentement dans les flaques
je regarde les vitrines
des lustres jolies
des baignoires chères
une mitaine par terre
un bout de boîte
avec un creux
la pluie est rentrée dedans
ça fait une flaque
une poubelle à roulettes s’est éloignée du trottoir
comme par inertie les voitures la contournent
je m’approche du passage piéton
je vois que c’est rouge
j’y vais
le rouge devient vert
je suis sur le point de traverser
mais je comprends que j’ai confondu les signaux
le rouge n’était pas pour moi
le rouge était pour les voitures
et maintenant il faut attendre
j’attends
mais il n’y a pas de voitures
je peux y aller
mais je reste
et j’attends
puis je n’attends plus
et j’avance
mais le signal devient vert
et c’est comme si le fait que j’ai traversé au rouge
ne compte plus
pendant que je marchais
c’est devenu vert
donc je traversais au vert
voilà tout
voilà la réponse
voilà toute ma vie
chacun pour soi à son adresse
les petites lumières habituelles s’éteignent et finissent
pensées étrangères superflues non nouvelles
je suis une étoile tu es une étoile nous devons être brûlées
quelqu’un a vendu et reçu l’adresse de nos rendez-vous
ne demande jamais d’accord d’accord
se calmer d’un coup qui va être à qui
il me semble qu’il va s’avérer que c’est plus facile de ne pas faire de rencontres
maman papa pardon maman papa pardon
je ne suis pas entièrement absolument pour de vrai
pourquoi tu dis toujours la même chose
pourquoi tu dis toujours la même chose
pourquoi tu dis toujours la même chose

(that all means mix of t.a.t.u songs «stars», «all the things she said», «show me love», but the that’s the translation of russian versions of lyrics)

katia disparait.

acte 5
scène 1

ellipse de temps. macha et dina sont par terre dans la cuisine. le papier peint est refait.

macha: tu l’as essayé beaucoup de fois ?

dina: plus que tu puisses imaginer. t’as peur, poulette?

macha: non, je sens que ça vaut le coup.

dina: bon, à vrai dire ce type-là précisement c’est la première fois. et je le fais pas parce que ça vaut le coup.

macha: mais t’as jamais eu peur de faire une overdose et mourir ?

dina: c’est toi qui a peur d’être morte, moi j’ai peur d’être vivante.

macha: pourquoi ? vivre c’est si clair, et ce qu’il y a là-bas genre là-bas, ça fait si peur

pendant le monologue dina séduit macha, se déshabillant et la déshabillant. parfois le monologue est interrompu par des baisers, à un certain moment il devient un acte sexuel. il finit à la dernière phrase.

dina: tu sais…
je sais tout ce qui sera
non pas tout
je sais ce qu'il y aura après
dans 320 ans on pourra vivre dans la zone de tchernobyl
dans 5200 ans le calendrier grégorien aura une journée de retard par rapport au temps astronomique
les étoiles polaires vont changer plusieurs fois
dans 10000 ans l'humanité va s'éteindre
dans 50000 ans les chutes du niagara vont arrêter d'exister
dans 40 millions ans phobos va tomber sur mars
dans 50 millions ans l'australie va traverser l'équateur, la californie va sombrer sous l'eau, et l'afrique va rentrer en collision avec l'eurasie, refermant la mer méditerranée
et encore dans 100 millions ans l'australie va rejoindre l'antarctique, et le groenland va rejoindre l'amérique
dans 600 millions ans une éclipse solaire totale sera impossible car la lune sera trop loin de la terre
dans un milliard d'années l'eau de mer va disparaître
dans trois milliards ans la terre va se transformer en venus
ce sera le début de l'époque des trous noirs, le soleil va se dissiper suite à l'évaporation de hawking, puis ce sera l'époque de l'obscurité éternelle, et si les protons se désintègrent pas, toute la matière va se décomposer jusqu'au fer-56
dans plus d'un millillion d'années le cerveau de boltzmann va émerger
qui est conscient de soi
conscient de l'espace qui l'entoure
il va contempler l'état final énergétique de l'univers
pourquoi ? pourquoi il verra tout ça et en prendra conscience ?
et tu sais par quoi tout va finir ? tout va finir par la conjecture de poincaré
tout va retourner là d'où tout a commencé mais on sait pas d'où tout a commencé ça fait pas peur d'où ça a commencé c'était il y a longtemps et ça va pas être bientôt
ça fait pas peur de ne pas être avant que tu ne sois
ça fait peur de ne pas être après
et ce qui sera après – je le sais
comme si c'était moi
et puis tout va recommencer
et j'apparaîtrai de nouveau
je referai tout ce chemin
je vais avoir peur de la mort de ma famille, puis de la mienne, et puis je vais avoir peur de vivre
en parallèle je vais apprendre quelque chose aller à l'école puis à l'université
je vais dire aux autres que je me cherche moi-même et je vais réellement me chercher
et puis mes études prendront fin et il faudra chercher un vrai travail ce dont je n'aurai bien évidemment pas envie
je ne voudrai pas faire des actions étranges au nom de je ne sais quoi et pour avoir de l'argent pour s'acheter de la nourriture au magasin à côté de la maison ou de la commander par internet ou pour s'acheter des vêtements ou pour payer son loyer ou des pilules une fois par mois pour ne pas avoir un enfant
y aura-t-il un enfant ou pas je ne sais pas encore mais ça va arriver de nouveau
tu sais que les gens écrivent tous les jours des scénarios de l'évolution du monde c'est une espèce de grand ticket de lotterie une espèce de grand black jack où chacun veut participer mais en même temps il veut pas parce que tous ces scénarios sont exclusivement pessimistes
tu as entendu parler du scénario de la gelée grise ? et du big rip ? comment l'univers va être déchiré en morceaux à cause de je sais pas quoi parce qu'il grandit bouge court quelque-part en avant pourquoi est-ce qu'il tourne sur soi où est-ce qu'il court pourquoi il grandit
s'il ne grandit pas ? alors tu sais quoi ? il va se reserrer en un point
et toi et moi et tous ceux qui tu aimes deviendront un point
et je dirai bah qu'est-ce qu'on s'en fout puisqu'on sera pas là personne d'entre nous sera là à ce moment-là donc ça fait pas peur
donc ça veut dire que ce qui fait peur c'est ce qui est ici et maintenant
mais si on décompose chaque ici et maintenant à des millisecondes tu sais ce qu'il va se passer ? il va se passer que l'aiguille reste chaque seconde dans un certain point dans l'espace et ne vole pas ne tue pas ne transperce pas la chair et donc rien ne se passe le repos éternel ce n'est pas après c'est maintenant
chaque nouveau maintenant il est là
merci zénon merci poincaré
le monde se repose sur les idées
ça se trouve tout est pas comme ça mais en ce moment qu'est-ce que je suis sereine putain
j'ai lu l'idée de poincaré sur trois lignes et aucune ligne de preuves
mais je crois à fond que tout est comme je l'ai compris
parce que je le sens
qu'est qu'il me rend sereine ce sentiment putain
mais la sérénité fond vite
où l'intellect évolue-t-il ? qu'est-ce qu'il va changer suite à ça ? est-ce que c'est pas la même chose qui se passe tous les jours tous les ans tous les siècles ? est-ce que les problèmes des gens ne sont pas les mêmes ? est-ce qu'on ne ressemble pas tous à la chaîne animal planet ?
l'univers est sur son lit funèbre et nous pensons quand et comment il va mourir
car il est malade de toutes les choses à la fois
si j'arrive à inventer quelque chose – quelque chose qui va résoudre une crise de quelqu'un, qui va permettre de ne pas mettre fin à ses jours, qui permettra de ne pas avoir peur
est-ce que je peux l'inventer
cette unité salvatrice
puisque j'ai tant de choses dans mon arsenal
un jour je le comprendrai de nouveau

elles se mettent à fumer.

macha: tu sais où ça coince ?…

dina: hein ?

macha: bah si tu sais tout, pourquoi tu changes rien par rapport au présent ? 'fin, c'est dans tes capacités de transformer le « maintenant » en n'importe quoi

dina: c'est toi qui penses qu'on peut en faire n'importe quoi. en vérité, le truc c'est que non seulement ce sera, mais ça a déjà été je sais pas combien de fois. des milliers, des millions de fois la même chose se reproduit, coup sur coup.

dina et macha restent silencieuses. elles se tiennent par la main.

macha: ouais alors mis comme ça ça fait vraiment flipper.

dina: et moi je pense que c'est énorme. ça veut dire que tu peux faire ce que tu veux et tu pourras pas te planter.

macha: tu sais à quoi je pense souvent… peu avant l'accident maman m'avait raconté une histoire. quand elle était jeune elle sortait avec un mec, ils vivaient dans des villes différentes, ils s'écrivaient pendant longtemps, puis elle a déménagé chez lui ici, mais la relation s'écroulait inévitablement face à la réalité. et puis un jour lors d'une énième rupture il lui a offert une poupée qu'il avait fait lui-même. une poupée en corde avec une carcasse métallique. d'après ma mère, elle a même eu peur au début, ça avait l'air ritualiste et glauque, mais pour une raison ou une autre elle l'a gardée quand-même. et pendant plusieures années cette poupée passait d'une étagère à l'autre et observait sa vie. ça faisait longtemps que le mec en question était déjà parti quelque part, ils ont pas gardé contact. et puis un jour maman a décidé de se débarasser des vieux trucs. et elle a jeté cette poupée. mais papa l'a sorti de la poubelle, il savait rien sur d'où elle venait d'après maman, et il a dit que ce de quoi elle est faite pourrait servir un jour. il a défait la corde et il est arrivé jusqu'à la carcasse métallique qui était entourée de ruban de peinture. et il l'a jetée. et là maman a senti quelque chose. elle a sorti les restes de la poupée de la poubelle et elle a commencé à arracher le ruban de peinture de sa tête, parce qu'elle avait senti qu'il y avait sûrement quelque chose dedans. puis elle est arrivée jusqu'à la tête. dedans il y avait des serviettes en papier. elle les a sorties. et dedans il y avait une carte postale minuscule. un centimètre sur un centimètre à peu près. elle l'a ouverte, et c'était écrit : « tout sera comme tu le veux » .

dina: waouh. et cette carte postale ? elle est restée ?

macha: oui, maman a dit qu'elle l'avait gardée. mais elle a pas dit où. ça se trouve, elle la portait sur elle, mais je ne l'ai jamais vue.

dina: c'est dingue comme histoire.

macha: peut-être que c'était pas vrai tout ça.

dina: 'fin, même si c'est inventé c'est pas mal.

dina et macha restent immobiles.

dina: je vais peut-être mourir là maintenant, tellement je suis bien. c'est pas possible d'être aussi bien. ça fait combien d'heures qu'on est allongé comme ça ?

macha: je sais pas. cinq-sept minutes, je dirais.

dina: qu'est-ce qu'elle durent, ces minutes… je t'avais pas dit mais la semaine prochaine je pars de chez toi, mes parents m'ont acheté un appart'. ce serait quand-même con de mourir là maintenant, mais je ne le sens pas du tout.

macha: je voudrais tellement avoir des parents.

dina: t'en auras. de nouveau.

macha: t'es comme ces sectaires qui promettent une vie à part entière dans l'au-delà, mais là je sens très concrètement qu'il y a rien de tout ça, que je suis qu'un rassemblement de particules qui se dissipent dans l'espace, se regroupant pour créer des formes différentes.

dina: tu te rends même pas compte à quel point c'est évident, tu t'es juste pas ajustée à la bonne fréquence pour l'instant. t'as raison, on est des particules. je suis fière de toi, macha. je suis fière que tu aies fait ce chemin, tu as pu. t'étais si drôle quand on s'était rencontré.

macha: comme si c'était pas moi du tout.

dina: bin une partie de toi était différente. comme une personne à part.

macha: toi aussi t'étais différente.

dina: t'as l'impression que c'est maintenant que je suis différente. je suis telle que tu veux.

scène 2

macha est seule dans la chambre. les affaires de dina ne sont plus là. elle regarde les objets qui restent. elle va vers le tourne-disques, mais elle ne l'allume pas. elle enlève les livres du piano qui se cachait en dessous d'eux depuis tout ce temps-là, et elle ouvre le couvercle. elle prend un accord. le piano est désaccordé. macha parcourt une gamme de plusieures octaves sur le piano. « c'est désaccordé, mais on peut quand-même jouer » - ceci semble être sa conclusion, elle prend une chaise et s'installe au piano. elle joue quelque chose de très simple, on voit que c'est improvisé. puis l'improvisation devient de plus en plus atonale, il y a de plus en plus d'expressivité, macha essaye de plus en plus de techniques. petit à petit elle se calme et la musique se transforme en consonance totale. puis macha remarque un cafard. elle le tue avec un livre qui était sous la main.

scène 3

ou, tout simplement :
macha élevée à la puissance de katia et dina, plus kolia, est arrivée à zéro, depuis où elle peut se diriger n'importe où.

épilogue et prologue

un certain temps est passé, il a fini, recommencé à nouveau et arrivé jusqu'à ce moment-là. katia est devant son ordinateur portable à la cuisine. les murs sont couverts du vieux papier peint. elle écrit un message à kolia et met la chanson we shout du groupe tatu dans le message.

katia: « des fois j'ai tellement inexplicablement envie d'écouter tatu je me sens bête j'écoute et je pleurs et je chante c'est pas possible ».

kolia: « mais non, katia, tatu ont une énergie folle, il y a tant de gens qui ont travaillé sur leurs chansons que c'est fait d'une manière excellente, c'est extrêmement bien réfléchi. juste ne pleure pas, quoique si, pleure, pleurer c'est cool ».

katia: « c'est pas possible je suis littéralement déchirée en morceaux. pourquoi on nous a pas choisi ? il était grave cool le projet ».

kolia: « katia mais tu sais très bien comment ça marche nothing is what it seems i will affect you i will protect you from all these crazy schemes tu l'entends toi-même je suis avec toi »

katia: « je sais pas je comprends pas je veux pas savoir »

on sonne à la porte. katia ouvre la porte à dina.

dina: oh mon dieu, tu pleures ou quoi ?

katia: mais non, tout va bien.

dina: il suffit de te laisser seule et tu pleures direct.

katia: c'est parce que j'en peux plus j'en peux plus j'en peux plus

dina: t'en peux plus quoi ? viens on se prend du pinard.

katia: j'ai pas envie.

dina: d'accord, je plaisante, pas de pinard, fais-toi du thé. et laisse tout tomber. tout.

elles vont à la cuisine.

dina: mais qu'est-ce qu'il s'est passé ?

katia: j'ai l'impression de pas faire ce que je devrais.

dina: j'entends ça tout le temps de ta part. ça se trouve effectivement c'est pas ce que tu devrais faire. mais, à mon avis, ça vaut pas toute cette souffrance. si ça te plaît pas, fais autre chose, où est le problème ?

katia: c'est important ? après tout, c'est important. c'est difficile à accepter. pourquoi j'ai pas le droit de souffrir un peu ? pourquoi tu me fais toujours des reproches par rapport à ça ?

dina: bah t'as le droit. sauf que c'est nul et contre-productif.

katia: tu penses vraiment que je fais pas ce que je devrais ?

dina: bah dans ton cas je pense que ça a pas trop d'importance.

katia: mon dieu, mais pourquoi tu fais toujours ça

dina: à vrai dire, je pense pas que ça sert à quelque chose tout ça. récemment pour un moment j'ai eu l'impression que t'es en train de sortir de ton état éternellement défaitiste – j'en peux plus/je conviens pas/blabla
mais très probablement tu vas passer toute ta vie dans cet état.
et moi je vais t'observer t'éteindre.
j'espère que ce sera intéressant !

katia reste silencieuse.

katia: tu penses qu'il faut que je fuis, que je parte, que je commence une nouvelle vie ?

dina: j'en sais rien. peut-être.

katia reste silencieuse.

dina: bon, donne ta main

katia: pour quoi faire

dina: mais donne.

katia donne sa main à dina. dina la regarde.

dina: oh ! eh ben. tout va bien se passer.

katia: mais vas-y, tu te fous de ma gueule !

dina: nan, j'ai fait de la chiromancie avant. tout va être au top. crois-moi. c'est sûr.

katia: mais ça veut dire quoi au top ?

dina: katia, tout sera comme tu le veux.

katia: oh mon dieu, un cafard!

dina le tue. macha rentre dans la cuisine.

fin. début.

2017

acte 3
scène 1

katia essaie de faire un dossier, elle a des livres avec des formules devant elle. elle écrit un message à dina et à macha avec le même texte : « tu viens toujours pas ce soir ? » macha répond : « non, je reste chez nastia, on se prépare au bac ». dina répond : « nop, je suis au boulot » katia: « c'est quoi comme boulot ? » dina ne répond pas.

katia: eh bah bien sûr. tout va bien. tout va comme il faut.

katia se lève et commence à se promener dans l'appartement. elle met le vinyle de the doors et la chanson people are strange. elle se rappelle de l'autre soirée. mais, sans écouter jusqu'à la fin, elle coupe la musique. elle se rassoit à son bureau. puis elle va vers la fenêtre. fume. va vers le miroir. se regarde en fumant. expire de la fumée d'une manière esthétique.

katia: mon dieu, qu'est-ce qu'il est banal mon comportement.

elle s'allonge sur le lit. le téléphone sonne.

katia: allô. oui. oui, c'est correct. oui, je suis chez moi. oui, vous pouvez venir. oui.

katia met le tourne-disques dans une boîte. on sonne à la porte. katia ouvre, c'est kolia.

katia: oh mon dieu. elle est pas là.

kolia: je suis venu chez toi.

katia le laisse rentrer en silence.

kolia: tu ne réponds pas aux messages, tu ne réponds pas aux appels.

katia: je sais.

kolia: je peux rentrer ?

katia: bah rentre. et pour quoi faire ?

kolia: tout ça c'est pas correct, tout ça c'était pas correct, tu comprends, moi-même je sais pas.

katia: aïe, arrête, je veux pas entendre ça.

kolia: l'alcool c'est le mal, je me rappelle même pas de quoi que ce soit, je sais juste que ce que j'ai fait n'est pas bien, j'ai eu tort.

kolia sort un vinyle de son sac.

kolia: d'abord je voulais apporter des fleurs, mais / puis je me suis dit

katia: mais au final c'est encore moins d'actualité

kolia lui donne le vinyle.

katia: «those who do not». très symbolique.

kolia: je sais que tu vas sûrement pas me pardonner, mais je veux vraiment pas te perdre. encore personne dans ce monde ne me comprenait autant que toi. je ne connais plus personne qui aimerait king crimson, tatu, psychic tv, the doors et philip glass. tu as un goût invraisemblablement extraordinaire.

katia: désolée, j'ai des clients qui m'attendent en bas.

kolia: pardon ?

katia prend la boîte avec le tourne-disques et se dirige vers la sortie.

katia: là tout de suite.

kolia: oh non, mon dieu, pourquoi ?

katia: j'ai besoin d'argent.

kolia: je te donnerai de l'argent, combien tu veux ? ne le vend pas.

katia: c'est trop tard, je te dis, ils m'attendent.

kolia: bah dis que tu as changé d'avis !

katia: sauf que j'ai pas changé d'avis.

kolia: merde, merde, merde !

katia: ça arrive. on a fini de parler ?

kolia: merde, non ! on a pas fini de parler !

katia: bin tu peux m'attendre ici.

kolia reste avec obéissance.

scène 2

katia est devant la maison avec la boîte. la 3ème partie de la 14ème sonate de beethoven joue dans ses écouteurs.

katia:
presto agitato. c'est comme ça qu'il faut vivre. dina dit toujours que les mathématiques sont de la poésie. le monde entier est de la poésie, si on a envie. le lampadaire s'est émergé de la flaque. la phrase te deum laudamus est éclairée sur l'église. des vagabonds expressive passe devant moi. les traits verticaux des arbres défeuillés s'ombrent sur les murs des immeubles. l'asphalte vert mouillé devient rouge, puis redevient vert, ne passant pas par l'interligne orange. la fleur en papier se noie dans la flaque sale. à côté – de la neige à peine fondue. un miroir sort d'un bac à poubelle, et je m'y reflète. une chienne enceinte me regarde. son maître la regarde avec ses yeux noirs. avec tout l'argent que j'aurai maintenant je pourrais louer un appartement tout de suite et m'y installer toute seule. ou je pourrais prendre un train et partir dans une autre ville et prendre une chambre à l'hôtel et ne pas me casser la tête pendant quelques jours.

des gens s'approchent de katia. ils prennent la boîte, lui donnent l'argent. katia écrit un message à macha. « il faut qu'on parle. reviens. elle sera pas là. promis ».

acte 4
scène 1

ellipse de temps. dina et katia sont assises dans la cuisine.

dina: t'es qu'une victime des circonstances.

katia: / n'importe quoi.

dina: / toujours. mais regarde autour de toi ! bah par exemple il te plaît, ce papier peint ?

katia: pas trop.

dina: pourquoi tu l'enlèves pas ? tu vois bien qu'il est affreusement ringard. ça fait combien de temps qu'on l'a mis ? 30 ans ? / 40 ?

katia: j'ai pas suffisamment d'argent pour / en mettre un nouveau.

dina: / et moi j'suis pétée de thunes en ce moment.

dina s'approche du mur.

dina: et j'aime pas du tout ton papier peint à la con.

dina commence à arracher le papier peint.

dina: t'es avec moi ? détends-toi, je vais t'acheter du papier peint et puis de quoi t'as besoin encore. t'as juste à dire, il n'y a plus que nous deux. il n'y a plus que les feux de l'aérodrome

dina rit.

katia: d'où tu as de l'argent ?

dina: j'ai un putain de boulot de ouf.

katia: mais raconte.

dina: bah tu te rappelles de la conférence où vous blablatiez de fractales ou je sais pas quoi toi et ton petit copain là ?

katia: il s'appelle kolia.

dina: mais où tu l'as trouvé ?..

katia: comme si tu / ne savais pas.

dina: / bref, on s'en fout. du coup après ça il y a schreiber qui m'a fait signe d'approcher et il m'a dit que j'avais fait un travail extraordinaire, et il m'a proposé d'écrire un article pour le héraut de l'académie des sciences.

katia: ah ouais quand-même… et ça paie beaucoup alors ?

dina: nan, ça paie que dalle, c'est juste comme ça, pour me faire plaisir.

katia: mais attends, et ton travail alors ?

dina: c'est chelou comme taf. mais ça paie de ouf.

katia: je me demande, on a proposé à quelqu'un d'autre d'écrire dans le héraut ou pas ?

dina: je pense pas. 'fin, il y avait pas grand monde qui on pourrait y recruter, on est bien d'accord ?

katia: j'imagine.

katia arrache un énorme morceau de papier peint. en dessous il y a un journal, le texte est suffisamment lisible.

dina: « il y a quelque chose de métaphysique dans l'amour du peuple soviétique pour la bière »

katia: c'est pas vrai ! ça y est pas.

katia regarde de plus près. dina rit.

katia: j'y crois pas !

dina: « quelque chose de mystérieux et surnaturel. j'étais avec une chope de bière tchèque ». ça s'arrête là. mais putain, c'est déjà suffisant. dionysos me parle depuis les vieux journaux ! on ne peut pas laisser passer ce genre de choses. je vais aller chercher de la binouse. ou quelque chose de mieux.

katia: mais tu allais finir de bosser sur un truc aujourd'hui ou quelque chose comme ça.

dina: et en quoi ça me gênerait ?

dina part chercher de la bière. katia reste à la cuisine, où une partie du papier peint est arrachée. elle regarde autour d'elle. dina revient.

dina: j'ai croisé ta frangine dans l'escalier. pourquoi tu l'as virée, d'ailleurs ? elle est cool. mieux que ton copain.

katia: je l'ai pas virée, elle habite juste temporairement dans l'appartement qu'on loue, à l'étage au-dessus, parce que

dina: ouais bon on s'en fout, j'ai compris, vous avez vos propres différends là

katia: mais non, c'est pas ça…

dina: mmm, elle est bonne la binouse.

dina part dans la chambre. il y a des bouts du papier peint qui pendent du mur. une partie est déjà par terre. katia arrache encore un petit bout. elle remarque le ticket de caisse sur la table. elle le regarde. elle va chercher dina.

katia: mais c'est où que tu as trouvé de la bière à ce prix-là ?

dina: c'est quoi le souci, poulette ?

katia: où est-ce que tu travailles ?

dina: non mais laisse tomber, qu'est-ce qu'on s'en fout ?

scène 2

katia est devant un miroir, elle met de la crème sur son visage avant d'aller se coucher.

dina: pourquoi tu fais ça ?

katia: la peau se sèche.

dina: ou peut-être que tu as peur de vieillir prématurément ?

dina rit.

dina: imagine, je vais sûrement mourir très bientôt si je continue à boire autant. et ma tombe sera couverte de fleurs. mon cerveau va être étudié par des scientifiques des générations à venir. et toi tu vas vivre. tu vas vivre 50 ans de plus que moi, pas moins. et toute ta vie tu vas te rappeler de moi.

katia: pas forcément avec des bons mots.

dina: qu'est-ce que tu dis comme bêtises, katia. tout ça n'a absolument aucune importance. ce sont juste des paramètres de relativité. toi et moi on est comme jim morrison et ray manzarek. il écrivait de l'excellente musique, mais qui se rappelle de lui quand on parle de the doors ? à part toi, peut-être.

katia: je pense pas que ce soit un exemple correct.

dina: arrête, c'est exactement ce que tu penses. je sais même pas comment il s'appelle. je n'y pense même pas. toi t'y penses.
trop douces les terrestres boissons, trop denses les filets de l'amour, j'espère qu'on lira mon nom dans un livre d'école un jour.

katia se retourne du miroir.

dina: t'es belle, katia. très belle.

katia: pourquoi tu me dis ça ?

dina: c'est vrai.

katia: te moque pas.

dina rentre dans la salle de bain, sursaute.

dina: mon dieu, tu m'as fait peur.

scène 3

katia est assise sur un canapé devant son ordinateur. elle a des manuels autour d'elle.

dina: regarde-moi ? mais regarde regarde regarde

katia: si tu la fermes pas tout de suite, je vais m’arracher les yeux, les coudre aux tiens, et tu vas les contempler à tout jamais.

dina: mais regarde-moi encore une fois ?

katia ne dit rien.

dina: pourquoi t’es une telle rabat-joie ? regarde par la fenêtre ? viens on va se balader.

katia: n’ouvre pas, s’il te plait, j’ai déjà froid comme ça.

dina: oh, dehors y a un truc, mais un truc

katia: quel mot pourra te faire comprendre à quel point tu me gênes ?

dina: putain mais il y a un truc de fou dehors

katia: il y a ta mère qui t’appelle.

dina: il y a un chien terriblement sale qui bouffe un pigeon !

katia: prends ton téléphone.

dina: au fait je savais pas que les chiens mangeaient des oiseaux. et les gens ils arrêtent pas de parler ! le sens de la vie, le sens de la vie… ils abusent pas un peu, ces gens ? pourquoi personne s’inquiète du sens de la vie de ce pigeon ? et de ce chien ?

katia: pour fumer c’est à la cuisine, je te l’ai dit cent fois déjà !

dina: d’ailleurs, à propos des chiens : tu savais que les hérissons mangeaient les croquettes faites pour des chiens ?

katia: allô, oui, je lui passe le téléphone.

dina: (repousse le telephone): dis-lui que je suis morte. non, dis-lui qu’un chien m’a mangé !

katia: elle va vous rappeler dans 5 minutes. mais qu’est-ce que tu veux ?

dina: regarde-moi ?

katia: et alors.

dina: katia, dis-moi, quel est le sens de la vie des pensées qui passent par ta tête ?

katia: oh mon dieu.

dina: qui es-tu, katia ?

katia: et toi tu es qui ?

dina: au fait, il veut dire quoi ton prénom ?

katia: je sais pas.

dina: tu te fous de moi ?

dina cherche le prénom katia sur google.

dina: « éternellement pure », « claire, vierge ». « le dictionnaire des noms propres d’oxford » dit que l’étymologie de ce prénom reste incertaine. qu’est-ce que tu es mystérieuse. ça me plaît.

katia: et que veut dire le tien ?

dina rentre dans la chambre avec une bouteille d’alcool chère.

dina: laisse ton telephone, aujourd’hui on fait la fête, poulette.

katia: quoi ? pourquoi ?

dina: et qu’est-ce qu’il te faut comme occasion ? l’anniversaire d’einstein ça te va ?

katia: c’est vrai ?

dina: j’en sais rien, vérifie.

dina remarque le tourne-disques.

dina: oh, je pensais que tu l’avais vendu.

katia: c’est kolia qui me l’a offert.

dina: on dirait vraiment qu’il t’aime.

la pièce se remplit de gens au fur et à mesure. dina devient très rapidement ivre. elle s’approche d’un jeune homme qui mange du pain.

dina: et tu sais que c’est carrément meilleur si on fait comme ça ?

dina met du lubrifiant goût chocolat sur le pain. le jeune homme fait une grimace.

jeune homme: c’est quoi ?

dina: mais tu vois pas ? je me suis préparée pour notre rendez-vous.

jeune homme: mais on vient de se rencontrer.

dina: et moi j’étais déjà prête.

dina lui prend son bout de pain et lèche le lubrifiant du pain aussi érotiquement qu’elle peut.

dina: mmm, trop bon.

dina se penche vers le jeune homme stupéfait et l’embrasse. puis elle part danser. pendant ce temps katia cherche à cacher son inquiétude, son interaction avec kolia ne lui suffit pas. il lui dit quelque chose, elle ne l’entend pas. il manque toujours une partie du papier peint dans la cuisine. elle passe sa main sur le mur, il y a du chaux qui reste sur sa main. dina s’approche de katia.

dina: alors, poulette, on s’ennuit ? on danse ?

katia: tu sais très bien que j’aime pas …

dina: tssss.

elles dansent. dina parle d’une manière lente et ivre.

dina: katia, katia… je suis si bourrée… tu… katia, katia…

katia: je sais…

dina: non, tu comprends pas, katia…

katia prend dina dans ses bras, la serre même. dina remarque kolia.

dina: à quoi il te sert ce type chelou, je comprends pas. une nuit m’a suffit pour comprendre qu’il est nul à chier. son intellect ne correspond absolument pas au tien.

katia: je sais pas.

dina: laisse tout tomber, katia, sois avec moi.

dina embrasse katia. kolia jette un verre de vin dans leur direction et part.

dina: il te vaut pas.

katia: kolia !

il part de l’appartement. dina emmène katia dans leur chambre.

dina: attends-moi ici, ma petite. et pense à rien. promets-moi.

katia embrasse dina.

dina: promets-moi.

katia: je promets.

dina: j’arrive.

dina sort de la chambre et retourne à la cuisine. katia est agitée. elle se vérifie dans le miroir, soigne son apparence. refait ses cheveux. regarde son corps. défait son pantalon, regarde sa culotte. elle va en chercher une autre dans le placard, elle la met. elle refait ses cheveux encore une fois. enlève son soutien-gorge. elle laisse juste son t-shirt. dina ne revient pas. katia sort de la chambre et va à la cuisine. dina parle au jeune homme à qui elle montrait comment manger du pain avec du lubrifiant. dina l’embrasse de nouveau. elle l’emmène dans la chambre.

dina: on y va ?

katia: j’arrive.

katia sort de l’appartement. elle marche dans la rue comme si c’était la première fois.

katia:
où suis-je
pendant qu’elle est là-dedans
avec mon regard j’attrape
les reflets de lumière
du décor de la ville
qui rampent lentement dans les flaques
je regarde les vitrines
des lustres jolies
des baignoires chères
une mitaine par terre
un bout de boîte
avec un creux
la pluie est rentrée dedans
ça fait une flaque
une poubelle à roulettes s’est éloignée du trottoir
comme par inertie les voitures la contournent
je m’approche du passage piéton
je vois que c’est rouge
j’y vais
le rouge devient vert
je suis sur le point de traverser
mais je comprends que j’ai confondu les signaux
le rouge n’était pas pour moi
le rouge était pour les voitures
et maintenant il faut attendre
j’attends
mais il n’y a pas de voitures
je peux y aller
mais je reste
et j’attends
puis je n’attends plus
et j’avance
mais le signal devient vert
et c’est comme si le fait que j’ai traversé au rouge
ne compte plus
pendant que je marchais
c’est devenu vert
donc je traversais au vert
voilà tout
voilà la réponse
voilà toute ma vie
chacun pour soi à son adresse
les petites lumières habituelles s’éteignent et finissent
pensées étrangères superflues non nouvelles
je suis une étoile tu es une étoile nous devons être brûlées
quelqu’un a vendu et reçu l’adresse de nos rendez-vous
ne demande jamais d’accord d’accord
se calmer d’un coup qui va être à qui
il me semble qu’il va s’avérer que c’est plus facile de ne pas faire de rencontres
maman papa pardon maman papa pardon
je ne suis pas entièrement absolument pour de vrai
pourquoi tu dis toujours la même chose
pourquoi tu dis toujours la même chose
pourquoi tu dis toujours la même chose

(that all means mix of t.a.t.u songs «stars», «all the things she said», «show me love», but the that’s the translation of russian versions of lyrics)

katia disparait.

acte 5
scène 1

ellipse de temps. macha et dina sont par terre dans la cuisine. le papier peint est refait.

macha: tu l’as essayé beaucoup de fois ?

dina: plus que tu puisses imaginer. t’as peur, poulette?

macha: non, je sens que ça vaut le coup.

dina: bon, à vrai dire ce type-là précisement c’est la première fois. et je le fais pas parce que ça vaut le coup.

macha: mais t’as jamais eu peur de faire une overdose et mourir ?

dina: c’est toi qui a peur d’être morte, moi j’ai peur d’être vivante.

macha: pourquoi ? vivre c’est si clair, et ce qu’il y a là-bas genre là-bas, ça fait si peur

pendant le monologue dina séduit macha, se déshabillant et la déshabillant. parfois le monologue est interrompu par des baisers, à un certain moment il devient un acte sexuel. il finit à la dernière phrase.

dina: tu sais…
je sais tout ce qui sera
non pas tout
je sais ce qu'il y aura après
dans 320 ans on pourra vivre dans la zone de tchernobyl
dans 5200 ans le calendrier grégorien aura une journée de retard par rapport au temps astronomique
les étoiles polaires vont changer plusieurs fois
dans 10000 ans l'humanité va s'éteindre
dans 50000 ans les chutes du niagara vont arrêter d'exister
dans 40 millions ans phobos va tomber sur mars
dans 50 millions ans l'australie va traverser l'équateur, la californie va sombrer sous l'eau, et l'afrique va rentrer en collision avec l'eurasie, refermant la mer méditerranée
et encore dans 100 millions ans l'australie va rejoindre l'antarctique, et le groenland va rejoindre l'amérique
dans 600 millions ans une éclipse solaire totale sera impossible car la lune sera trop loin de la terre
dans un milliard d'années l'eau de mer va disparaître
dans trois milliards ans la terre va se transformer en venus
ce sera le début de l'époque des trous noirs, le soleil va se dissiper suite à l'évaporation de hawking, puis ce sera l'époque de l'obscurité éternelle, et si les protons se désintègrent pas, toute la matière va se décomposer jusqu'au fer-56
dans plus d'un millillion d'années le cerveau de boltzmann va émerger
qui est conscient de soi
conscient de l'espace qui l'entoure
il va contempler l'état final énergétique de l'univers
pourquoi ? pourquoi il verra tout ça et en prendra conscience ?
et tu sais par quoi tout va finir ? tout va finir par la conjecture de poincaré
tout va retourner là d'où tout a commencé mais on sait pas d'où tout a commencé ça fait pas peur d'où ça a commencé c'était il y a longtemps et ça va pas être bientôt
ça fait pas peur de ne pas être avant que tu ne sois
ça fait peur de ne pas être après
et ce qui sera après – je le sais
comme si c'était moi
et puis tout va recommencer
et j'apparaîtrai de nouveau
je referai tout ce chemin
je vais avoir peur de la mort de ma famille, puis de la mienne, et puis je vais avoir peur de vivre
en parallèle je vais apprendre quelque chose aller à l'école puis à l'université
je vais dire aux autres que je me cherche moi-même et je vais réellement me chercher
et puis mes études prendront fin et il faudra chercher un vrai travail ce dont je n'aurai bien évidemment pas envie
je ne voudrai pas faire des actions étranges au nom de je ne sais quoi et pour avoir de l'argent pour s'acheter de la nourriture au magasin à côté de la maison ou de la commander par internet ou pour s'acheter des vêtements ou pour payer son loyer ou des pilules une fois par mois pour ne pas avoir un enfant
y aura-t-il un enfant ou pas je ne sais pas encore mais ça va arriver de nouveau
tu sais que les gens écrivent tous les jours des scénarios de l'évolution du monde c'est une espèce de grand ticket de lotterie une espèce de grand black jack où chacun veut participer mais en même temps il veut pas parce que tous ces scénarios sont exclusivement pessimistes
tu as entendu parler du scénario de la gelée grise ? et du big rip ? comment l'univers va être déchiré en morceaux à cause de je sais pas quoi parce qu'il grandit bouge court quelque-part en avant pourquoi est-ce qu'il tourne sur soi où est-ce qu'il court pourquoi il grandit
s'il ne grandit pas ? alors tu sais quoi ? il va se reserrer en un point
et toi et moi et tous ceux qui tu aimes deviendront un point
et je dirai bah qu'est-ce qu'on s'en fout puisqu'on sera pas là personne d'entre nous sera là à ce moment-là donc ça fait pas peur
donc ça veut dire que ce qui fait peur c'est ce qui est ici et maintenant
mais si on décompose chaque ici et maintenant à des millisecondes tu sais ce qu'il va se passer ? il va se passer que l'aiguille reste chaque seconde dans un certain point dans l'espace et ne vole pas ne tue pas ne transperce pas la chair et donc rien ne se passe le repos éternel ce n'est pas après c'est maintenant
chaque nouveau maintenant il est là
merci zénon merci poincaré
le monde se repose sur les idées
ça se trouve tout est pas comme ça mais en ce moment qu'est-ce que je suis sereine putain
j'ai lu l'idée de poincaré sur trois lignes et aucune ligne de preuves
mais je crois à fond que tout est comme je l'ai compris
parce que je le sens
qu'est qu'il me rend sereine ce sentiment putain
mais la sérénité fond vite
où l'intellect évolue-t-il ? qu'est-ce qu'il va changer suite à ça ? est-ce que c'est pas la même chose qui se passe tous les jours tous les ans tous les siècles ? est-ce que les problèmes des gens ne sont pas les mêmes ? est-ce qu'on ne ressemble pas tous à la chaîne animal planet ?
l'univers est sur son lit funèbre et nous pensons quand et comment il va mourir
car il est malade de toutes les choses à la fois
si j'arrive à inventer quelque chose – quelque chose qui va résoudre une crise de quelqu'un, qui va permettre de ne pas mettre fin à ses jours, qui permettra de ne pas avoir peur
est-ce que je peux l'inventer
cette unité salvatrice
puisque j'ai tant de choses dans mon arsenal
un jour je le comprendrai de nouveau

elles se mettent à fumer.

macha: tu sais où ça coince ?…

dina: hein ?

macha: bah si tu sais tout, pourquoi tu changes rien par rapport au présent ? 'fin, c'est dans tes capacités de transformer le « maintenant » en n'importe quoi

dina: c'est toi qui penses qu'on peut en faire n'importe quoi. en vérité, le truc c'est que non seulement ce sera, mais ça a déjà été je sais pas combien de fois. des milliers, des millions de fois la même chose se reproduit, coup sur coup.

dina et macha restent silencieuses. elles se tiennent par la main.

macha: ouais alors mis comme ça ça fait vraiment flipper.

dina: et moi je pense que c'est énorme. ça veut dire que tu peux faire ce que tu veux et tu pourras pas te planter.

macha: tu sais à quoi je pense souvent… peu avant l'accident maman m'avait raconté une histoire. quand elle était jeune elle sortait avec un mec, ils vivaient dans des villes différentes, ils s'écrivaient pendant longtemps, puis elle a déménagé chez lui ici, mais la relation s'écroulait inévitablement face à la réalité. et puis un jour lors d'une énième rupture il lui a offert une poupée qu'il avait fait lui-même. une poupée en corde avec une carcasse métallique. d'après ma mère, elle a même eu peur au début, ça avait l'air ritualiste et glauque, mais pour une raison ou une autre elle l'a gardée quand-même. et pendant plusieures années cette poupée passait d'une étagère à l'autre et observait sa vie. ça faisait longtemps que le mec en question était déjà parti quelque part, ils ont pas gardé contact. et puis un jour maman a décidé de se débarasser des vieux trucs. et elle a jeté cette poupée. mais papa l'a sorti de la poubelle, il savait rien sur d'où elle venait d'après maman, et il a dit que ce de quoi elle est faite pourrait servir un jour. il a défait la corde et il est arrivé jusqu'à la carcasse métallique qui était entourée de ruban de peinture. et il l'a jetée. et là maman a senti quelque chose. elle a sorti les restes de la poupée de la poubelle et elle a commencé à arracher le ruban de peinture de sa tête, parce qu'elle avait senti qu'il y avait sûrement quelque chose dedans. puis elle est arrivée jusqu'à la tête. dedans il y avait des serviettes en papier. elle les a sorties. et dedans il y avait une carte postale minuscule. un centimètre sur un centimètre à peu près. elle l'a ouverte, et c'était écrit : « tout sera comme tu le veux » .

dina: waouh. et cette carte postale ? elle est restée ?

macha: oui, maman a dit qu'elle l'avait gardée. mais elle a pas dit où. ça se trouve, elle la portait sur elle, mais je ne l'ai jamais vue.

dina: c'est dingue comme histoire.

macha: peut-être que c'était pas vrai tout ça.

dina: 'fin, même si c'est inventé c'est pas mal.

dina et macha restent immobiles.

dina: je vais peut-être mourir là maintenant, tellement je suis bien. c'est pas possible d'être aussi bien. ça fait combien d'heures qu'on est allongé comme ça ?

macha: je sais pas. cinq-sept minutes, je dirais.

dina: qu'est-ce qu'elle durent, ces minutes… je t'avais pas dit mais la semaine prochaine je pars de chez toi, mes parents m'ont acheté un appart'. ce serait quand-même con de mourir là maintenant, mais je ne le sens pas du tout.

macha: je voudrais tellement avoir des parents.

dina: t'en auras. de nouveau.

macha: t'es comme ces sectaires qui promettent une vie à part entière dans l'au-delà, mais là je sens très concrètement qu'il y a rien de tout ça, que je suis qu'un rassemblement de particules qui se dissipent dans l'espace, se regroupant pour créer des formes différentes.

dina: tu te rends même pas compte à quel point c'est évident, tu t'es juste pas ajustée à la bonne fréquence pour l'instant. t'as raison, on est des particules. je suis fière de toi, macha. je suis fière que tu aies fait ce chemin, tu as pu. t'étais si drôle quand on s'était rencontré.

macha: comme si c'était pas moi du tout.

dina: bin une partie de toi était différente. comme une personne à part.

macha: toi aussi t'étais différente.

dina: t'as l'impression que c'est maintenant que je suis différente. je suis telle que tu veux.

scène 2

macha est seule dans la chambre. les affaires de dina ne sont plus là. elle regarde les objets qui restent. elle va vers le tourne-disques, mais elle ne l'allume pas. elle enlève les livres du piano qui se cachait en dessous d'eux depuis tout ce temps-là, et elle ouvre le couvercle. elle prend un accord. le piano est désaccordé. macha parcourt une gamme de plusieures octaves sur le piano. « c'est désaccordé, mais on peut quand-même jouer » - ceci semble être sa conclusion, elle prend une chaise et s'installe au piano. elle joue quelque chose de très simple, on voit que c'est improvisé. puis l'improvisation devient de plus en plus atonale, il y a de plus en plus d'expressivité, macha essaye de plus en plus de techniques. petit à petit elle se calme et la musique se transforme en consonance totale. puis macha remarque un cafard. elle le tue avec un livre qui était sous la main.

scène 3




ou, tout simplement :
macha élevée à la puissance de katia et dina, plus kolia, est arrivée à zéro, depuis où elle peut se diriger n'importe où.

épilogue et prologue

un certain temps est passé, il a fini, recommencé à nouveau et arrivé jusqu'à ce moment-là. katia est devant son ordinateur portable à la cuisine. les murs sont couverts du vieux papier peint. elle écrit un message à kolia et met la chanson we shout du groupe tatu dans le message.

katia: « des fois j'ai tellement inexplicablement envie d'écouter tatu je me sens bête j'écoute et je pleurs et je chante c'est pas possible ».

kolia: « mais non, katia, tatu ont une énergie folle, il y a tant de gens qui ont travaillé sur leurs chansons que c'est fait d'une manière excellente, c'est extrêmement bien réfléchi. juste ne pleure pas, quoique si, pleure, pleurer c'est cool ».

katia: « c'est pas possible je suis littéralement déchirée en morceaux. pourquoi on nous a pas choisi ? il était grave cool le projet ».

kolia: « katia mais tu sais très bien comment ça marche nothing is what it seems i will affect you i will protect you from all these crazy schemes tu l'entends toi-même je suis avec toi »

katia: « je sais pas je comprends pas je veux pas savoir »

on sonne à la porte. katia ouvre la porte à dina.

dina: oh mon dieu, tu pleures ou quoi ?

katia: mais non, tout va bien.

dina: il suffit de te laisser seule et tu pleures direct.

katia: c'est parce que j'en peux plus j'en peux plus j'en peux plus

dina: t'en peux plus quoi ? viens on se prend du pinard.

katia: j'ai pas envie.

dina: d'accord, je plaisante, pas de pinard, fais-toi du thé. et laisse tout tomber. tout.

elles vont à la cuisine.

dina: mais qu'est-ce qu'il s'est passé ?

katia: j'ai l'impression de pas faire ce que je devrais.

dina: j'entends ça tout le temps de ta part. ça se trouve effectivement c'est pas ce que tu devrais faire. mais, à mon avis, ça vaut pas toute cette souffrance. si ça te plaît pas, fais autre chose, où est le problème ?

katia: c'est important ? après tout, c'est important. c'est difficile à accepter. pourquoi j'ai pas le droit de souffrir un peu ? pourquoi tu me fais toujours des reproches par rapport à ça ?

dina: bah t'as le droit. sauf que c'est nul et contre-productif.

katia: tu penses vraiment que je fais pas ce que je devrais ?

dina: bah dans ton cas je pense que ça a pas trop d'importance.

katia: mon dieu, mais pourquoi tu fais toujours ça

dina: à vrai dire, je pense pas que ça sert à quelque chose tout ça. récemment pour un moment j'ai eu l'impression que t'es en train de sortir de ton état éternellement défaitiste – j'en peux plus/je conviens pas/blabla
mais très probablement tu vas passer toute ta vie dans cet état.
et moi je vais t'observer t'éteindre.
j'espère que ce sera intéressant !

katia reste silencieuse.

katia: tu penses qu'il faut que je fuis, que je parte, que je commence une nouvelle vie ?

dina: j'en sais rien. peut-être.

katia reste silencieuse.

dina: bon, donne ta main

katia: pour quoi faire

dina: mais donne.

katia donne sa main à dina. dina la regarde.

dina: oh ! eh ben. tout va bien se passer.

katia: mais vas-y, tu te fous de ma gueule !

dina: nan, j'ai fait de la chiromancie avant. tout va être au top. crois-moi. c'est sûr.

katia: mais ça veut dire quoi au top ?

dina: katia, tout sera comme tu le veux.

katia: oh mon dieu, un cafard!

dina le tue. macha rentre dans la cuisine.

fin. début.


translation by alexander ermolov
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